Dernière prière.

[i]Cela faisait maintenant des semaines que des noeuds de forces occultes se tissaient à travers le monde et les prêtres et prêtresses du désert d'argent n'avaient pu que s'en rendre compte. Pour une fois, les cultes oublièrent les dissensions et les rancoeurs habituelles. Un fléau sans nom menaçait la vie de leurs sujets et ils allaient l'en préserver.
Avec l'aide de la Dame Altroeg, grande Prêtresse de Ch'elin, la Dragonne-Lune, un rituel comme jamais il n'en avait été imaginé et instauré. Chaque Temple avait son rôle et son concept à évoquer. Les prières et les cantiques n'auraient qu'un but : préserver les êtres fragiles de ce royaume de la tempête éthérique qui s'annonçait.
Ainsi Merenas devant une ruche bourdonnante d'activité aussi bien religieuses que bassement matérialistes. On préparait les habitations et les habitants à subir un cataclysme. La fierté des Dragoons les poussaient à faire face et à ne pas seulement compter sur la protection divine. Chaque bâtisse fut fortifiée, consolidée. Chaque famille fit des réserves en eau et en nourriture. Nul ne pourrait briser le peuple de Merenas en ces heures sombres.
Pas même la Fureur de la Terre.

Les ordres cléricaux sentirent le Jour arriver et tous ensemble, ils invoquèrent, prièrent, évoquèrent, leurs Dieux, leurs Serviteurs et leurs Avatars. Non pas dans une supplique apeurée mais en hymne fort. Comment pouvait-il en être autrement alors que la Foi et la confiance de leurs fidèles les emplissaient d'une mission quasi-divine ?
Sekeln Altroeg se comporta comme ses ancêtres avant elle dans d'autres situations : elle fit face à sa manière serrant les dents, laissant les énergies mystiques converger à travers elle.
Car pour ce rituel, il fallait un catalyseur : quelqu'un qui recevrait en son sein toutes puissances divines appelées. Et ce fut elle qui choisit ce Destin que beaucoup considéraient comme mortel. Elle le savait mais si celle dont le rôle était de guider ne prenait pas cette place, qui l'aurait fait ?
Les torrents occultes parcouraient son corps pareil à des décharges électriques.
Pour la zélote, c'était une chose nouvelle. Parfois, elle avait hébergé la puissance de sa Déesse mais comparer ce qu'elle avait ressenti alors était une hérésie.
En elle circulait la force de douze Dieux. Son corps n'y résistait qu'avec grand mal et chaque seconde, elle pensait entendre son sang se mettre à bouillir.
Tout ce pouvoir accumulé servit à créer une immense barrière qui protégeait Merenas des déluges telluriques qui faisaient se contorsionner la terre elle-même. Les officiants sentirent ces forces étrangères atteindre leur paroxysme, semblable à une vague de démence qui submergeait et engloutissait tout ce qui se trouvait sur son chemin. Nombre d'entre-eux voulaient succomber à l'épuisement mais leur volonté les en empêchait. Ils avaient un Devoir. Une Mission et seule Ar'tas l'Impitoyable pourrait les arrêter en les faisant passer de vie à trépas.
Cependant une chose imprévu se passa. Alors qu'au dehors, l'enfer se déchainait, le curieux Gestalt divin qui s'était formé se brisa.
Un Dieu manquait à l'appel. Ou plutôt, une Déesse.
Ch'elin avait rompu son lien avec son clergé.
Un moment de stupeur envahit l'assemblée mais le plus terrible restait l'expression figée de Grande Prêtresse. Ces traits beaux et secs étaient tirés dans une terreur abyssale.
La barrière divine se rompit puis se reforma dans une proportion plus petite ne protégeant plus que la vallée de Merenas alors qu'un hurlement de rage inhumain sortait de la gorge de Sekeln. Les prêtres présents tremblèrent quand ils ressentirent que la jeune femme fasait tenir la barrière à elle-seule. Entretenant le Gestalt en se trouvant au coeur d'un vortex d'énergie sans nul autre pareil dans le monde....

Pour Sekeln, un monde était réduit à néant. Le sien. Tout ce en quoi elle avait cru était broyé au plus profond de son âme maintenant meurtrie.
Alors que sa conscience se synchronisait avec celle de Ch'elin et qu'elle recevait la puissance des autres Dieux-Dragons, un flot d'images et de sensations envahi son être. Et elle vit. Elle comprit alors que des larmes de sang coulait de ses yeux vif-argent comment elle n'avait été qu'un jouet. Non pas elle. Toute sa lignée. Une lignée créée comme des cobayes. Elle devait la vie à sa Déesse...au sens propre.
Tout n'était qu'un vaste plan dont l'horreur dépassait l'imagination : utiliser des êtres nouveaux comme incubateur pour faire revenir de Grands Anciens d'entre les Morts.
Elle même n'était qu'une sorte d'oeuf tandis que sa Soeur âmique constituaient le vitalin. Ensembles, elles devaient donner naissance ou plutôt permettre le retour à la Vie d'un Dragon.
Submergée par cette révélation sordide, la prêtresse rompit son lien avec sa Déesse.
Son calme habituel disparut ou plutôt sa vraie Nature apparut.
Tous ces proches avaient toujours cru que c'était elle Sekeln, qui empêchait Seiren de laisser libre court à ses pulsions de morts et de destruction mais la vérité était autre. Sekeln s'était toujours contenue car telle le demandait la maitrise des Arcanes de la Lune. Seiren était simplement impulsive.
Mais elle, en réalité, se trouvait être une créature aimant et savourant la vue du sang. Cherchant le combat pour s'y glorifier dans la douleur et jouir de celle qu'elle infligeait aux autres. Le monstres n'était pas Seiren, c'était elle.
Et alors que le Gestalt se rompait, la hargne de Sekeln se libéra, Seiren ne fut alors rien de plus qu'une vague entité qui vivait à la lisière de son esprit et pourtant, elle aussi laissa libre court aux sentiments de haine qui naissait en son coeur. Deux entités séparées ressentaient alors une rage et une haine sans nom dépassant sans doute de loin les concepts que ces mots devaient couvrir.
Alors un Dieu leur répondit : Lorilith, le Dragon des Bois.
Sa fureur animale se déversa dans Sekeln qui l'absorba comme une éponge. Cette colère primale draina tout, balaya tout. Il ne restait qu'elle. Elle consuma la présence des autres Dieux. Et alors que le corps de la Prêtresse ressentait la brûlure de cette force brute et universelle, elle laissai sortir de sa gorge un rugissement intense et douloureux. La fureur tentant de masquer la douleur de la trahison et de l'abandon.
Sekeln et Seiren disparurent dans le maëlstorm divin seul compter la vengeance. Et pour se venger, il fallait vivre. Faire un pied-de-nez à cette Déesse qui les manipulait sans vergogne.
Ainsi un Gestalt fut maintenu. Entre une hybride Dragoon et un Dieux-Dragon...
Un éclat ocre surgit du corps de la jeune fille. Lorsqu'il disparut, il ne restait qu'un corps humanoïde carbonisé....
La dernière prière ne fut pas un acte de Foi mais un appel à la vengeance....