Comme tous les habitants du Temple, Sekeln reçut une missive indiquant la mort du seigneur Ulrik-le-fort.
La prêtresse ne l'avait que peu connu mais sffisamment pour l'apprécier. Sa mort ne la choqua pas outre-mesure. Tout mourait un jour ou l'autre mais elle se devait en tant que prêtresse et Moki du Temple de se rendre sur les terres du défunt seigneur.
Mais quel moyen de transport serait assez rapide ?
Une solution aisée lui vint à l'esprit et elle invoqua son serviteur.
Celui-ci arriva la mine maussade et la jeune fille se doutait que cela ne devait pas être pour des raisons identiques aux siennes :
Me voilà, petite Sekeln, que puis-je pour vous ?
-Me porter en Hiskvarqd.
-Vous vous fichez de moi, qu'est-ce que vous voulez aller foutre dans ce coin paumé et gelé ?
La prêtresse soupira :Rendre hommage à un ami. Cela te va-t-il ?
Non,répondit Erendillenusil y a des moyens plus commodes et qui ne me gèleront pas. Vous n'avez qu'à effectuer le rituel de la "Porte de l'Impitoyable". En plus quel plus grand honneur pourriez-vous faire à un non-dragoon mort ?
Sekeln réfléchit, son dragon n'avait pas tort, mais le rituel dont-il parlait était complexe et dangereux. Mais elle se décida à l'accomplir, elle devait bien ça au seigneur Ulrik.
Elle commença par se rendre dans sa chambre et ne vit pas le regard sidéré d'Erendillenus. Elle s'y changea et revêtit son kimono de prêtresse. Le tissu légèrement bleuté était parcouru par un dragon d'argent et de sinople. Le bas de l'ensemble était rouge vif et portait le reste du dragon brodé dans un fil noir.
Ainsi vêtue, elle rejoignit un coin isolé du jardin en portant une harpe qu'elle gardait habituellement dans un coffre.
Puis elle s'assit à genoux sur une pierre plate et commença à jouer un air aiguë et dissonant. L'air sembla se refroidir un instant, puis la musique prit un timbre moins lugubre mais curieusement neutre. Comme si rien ne transparaissait à travers ces sons.
Les doigts de Sekeln étaient semblables aux pattes d'une araignée sujette à l'hystérie. Ils bougeaient sans que l'on puisse y trouver une logique et pourtant un son gracieux mais atone ne cessait de surgir de l'instrument à mesure que les cordes vibraient.
Soudain, les mouvement de la jeune hybride devinrent plus raides, comme s'ils devenaient automatiques et que plus rien ne les guidait. En même temps, une curieuse vapeur se formait autours de la jeune fille. Le nuage prit peu à peu forme et quiconque assistant à la scène pouvait voir un double de Sekeln. Ou du moins, une chose lui ressemblait, le visage était plus ancien et plus adulte, des ailes brassaient l'air dans son dos et une queue épaisse recouverte de plaques osseuses se vrillait dans son dos. De plus l'être était vêtu de voiles opalescents qui dévoilaient parfois un corps entièrement couvert d'écailles.
Lorsque l'entité fut complètement formée elle se mit à danser sur le rythme de la musique, une gestuelle proche de celle d'une marionnette. Puis la musique monta crescendo, devenant plus rapide, plus intense mais aussi dégageait enfin une émotion ou plusieurs, il était impossible de vraiment le savoir. Elle apaisait et terrifiait à la fois comme une prophétie ou une augure chantée et dansée.
Mais l'étrange spectacle gagna encore en intensité, les mains de Sekeln devinrent encore plus rapide et ses doigts commencèrent à saigner. L'entité qui devait sans doute être Seiren se contorsionna et prit des positions de plus en plus inhumaines, sa queue la suivant et l'entourant à l'unisson de ses voiles.
Puis ce fut l'apothéose.
Comme un éclair déchirant le ciel, une sombre silhouette apparue. Massive. Gigantesque. Dantesque.
La Porte était ouverte.