L'arrivée en Dragostina

À chaque « lune », comme elle le disait, c’était un temps de réjouissance au Royaume de Danetmar Kahel. Tous étaient conviés à ces festivités.

Pourtant, la Grande Guerrière, elle, demeurait aux aguets, elle se promène d’un groupe à l’autre, un sourire léger sur les lèvres, veillant à ce que personne ne manque de rien. Toutefois, la gaieté n’atteint pas ses yeux.

Comme à chaque « lune », Rosco, Grand maître des armes du Royaume, son plus lointain ami connu, s’interroge sur la pertinence de ces fêtes.

Il la connaissait la Grande Guerrière, Otésya. En fait, il l’a connaissait depuis qu’elle est arrivée en Dragostina.

Pourtant, encore aujourd’hui, le cœur d’Otésya est impénétrable et la barrière de ses pensées, infranchissable. Il avait bien essayé Rosco d’obtenir la clé de son cœur, faire rire ses yeux, mais c’était peine perdue. Ce n’est pas qu’elle était frigide ou sans chaleur, loin de là. Mais, il y a des blessures plus profondes que celles ayant entaillé la chair qui demande du temps à guérir, beaucoup de temps…

En la regardant, assis dans un coin de la salle du Grand Château, elle, toujours elle,se promenant, souriant à l’un, caressant la tête d’un enfant qui passe, il se questionne quant aux décisions récemment prises par Otésya. Quelques fois, elles semblaient discutables mais le temps lui donne souvent raison. Elle dit souvent

-Patience, mon brave, patience; la sage lenteur a souvent raison de la hâte.

Le temps doit être son allié puisqu’il lui donne raison!

À son souvenir, aucune décision qu’elle eut prise n’avait eu un impact négatif sur le royaume, bien au contraire. Rosco, songeur, tournant la tête, aperçoit Rowenda.

« Cette petite peste! Qu’est-ce qui a pris à Otésya de la nommer écuyer? Cette petiote, toute chétive qui dès le premier jour de son entrée en fonction avait eu du mal à harnacher un cheval. Il est vrai que la nature l’a gâté avec ces grands yeux qui semblent vous supplier, à qui l’ont ne peut refuser. Sa grande chevelure… »

Rosco, en le regardant toujours, se dit que du haut de ses 14 ans, elle ne fera pas une semaine dans ces fonctions….

« Les chevaliers vont la faire trimer. Elle devra mériter son titre. »

Se retournant soudainement, Rowenda darda son regard sur le Grand maître des armes et s’approcha.

Rosco, la regarde s’approcher, elle a le dos vouté, dandinant d’un pied à l’autre.
« Bon sang, elle a tout ce qui me fait horreur….nous n’avons pas à avoir honte de nos actes, jamais. Notre recherche de justice nous permet de nous promener la tête haute ».

D’un grand soupir, Rosco se prépare à faire face à cette timorée.

-Rosco, dites-moi, mon brave, on dit que c’est vous qui connaissez le mieux la Grande Guerrière, alors racontez-moi son histoire!

Le Grand maître des armes Rosco éclate alors d’un rire tonitruant. Plusieurs habitants présents dans la salle se retournent afin de voir ce qui amuse tant le Grand maître. On a si peu l’occasion de le voir s’amuser. Rosco compris alors le choix d’Otésya. La hardiesse de cette jeune fille démontre qu’il y a en elle plus de confiance qu’elle ne le croit et qui ne demande qu’à s’épanouir. Alors contre toute attente, d’un large geste de la main, le Grand maître Rosco invite Rowenda à s’asseoir à son côté.

De sa voix grave, d’un ton sévère démenti par la lueur amusé brillant au fond des yeux il dit :

-- Assied-toi petiote!

Ce qu’elle s’est empresse de faire.

Et d’ajouter :

- Tu oses demander l’histoire de la Grande Guerrière ? Toi une écuyère!

Loin de voir cette hardiesse fondre comme neige au soleil, tel qu’il le croyait, la voilà qui se redresse.

Légèrement froissée de se faire rabrouer ainsi, Rowenda réplique d’un ton méprisant :

-Vous saurez, Grand maître que je suis écuyer et non écuyère, c’est la Grande Guerrière que me l’a dit! Elle m’a dit d’en être fière et d’y faire honneur!

Et d’ajouter et affaissant les épaules et d’un ton que seul Rosco pu entendre en tendant soigneusement l’oreille :

- Bien que je ne sache pas comment faire…

Légèrement agacé de ce ton, mais amusé des propos de la jeune fille; en tentant de camoufler son sourire et faisant mine de s’éclaircir la voix, celui-ci commença son récit d’un ton sans réplique et d’une voix basse. La voix d’un homme qui a vu et vécu de nombreuses années, la voix d’un homme ayant vécu les évènements racontés.

Tu sais petiote, tu es la première à t’intéresser à l’histoire de la Grande Guerrière. Tu vois cette grande Dame, cette Grande Guerrière, ce chevalier, dit –il en désignant d’un imperceptible mouvement de tête Otésya.

-Elle est calme, douce s’occupe de tous avant elle-même, mais pourtant je l’ai vu. Oh oui, je l’ai vu s’enflammer devant le manque de fierté. Mais surtout le feu qui couve en Otésya l’embrase tout entière devant l’injustice.

C’est pour ça que je l’accompagne.

D’un grand geste du bras semblant indiquer toute la salle il ajouta :

C’est pour ça que tous nous l’accompagnons et que nous sommes très dévoués à son endroit.

Elle sait reconnaître le bon en nous, elle a foi en nous, elle nous exhorte à faire de notre mieux.

Regarde petiote, écoute et apprends de ce que je vais te raconter, pour être comme elle, un soleil qui illumine la nuit pouvant habiter chaque homme dans ses heures les plus sombre.

Le regard dans le vague semblant revoir les éléments s’étant déjà produit, il entame son récit d’une voix plus basse encore, comme pour lui-même.

- J’ai rencontré Otésya, il y a quelques années. À cette époque elle était déjà chevalier. Elle se trouvait aux frontières connus de Dragostina. Aux limites desquelles personne ne s’est encore aventurées, j’y étais afin de voir si je pouvais y établir mon Royaume et exploiter cet endroit. Elle se tenait là simplement, elle semblait irréelle. Elle se tenait à cet endroit sans bouger.

Elle avait les yeux hagards, les yeux d’une personne qui a côtoyé de près la mort, le regard de quelqu’un qui a vu ses compagnons mourir. Elle portait la même armure de cuir que maintenant, mais elle était plus abîmée que maintenant. Cette armure quelle porte et son épée sont les seuls objets qui lui demeurent de cette lointaine époque.

Je me rappelle, elle semblait déboussolée. Je m’étais approché d’elle ne sachant pas trop pourquoi. Tel un aimant, j’étais attiré, fasciné.
Était-ce son fier port de tête, sa chevelure ensoleillée que la brise soulevait, je ne sais trop. Le désarroi semblait habiter ses yeux, encore aujourd’hui, je ne sais pas ce qui a retenu mon attention chez elle et qui m’a détourné des buts que je m’étais fixés.

Mais je me suis approché, je me suis arrêté face à elle, le regard toujours dans le vague ne semblant pas me voir elle m’a demandé d’une voix aux accents chantants :

Messire, connaissez-vous Ambrenault?

Je lui ai alors répondu que je n’avais pas l’honneur de connaître ce seigneur. À cette époque j’ignorais qu’Ambrenault était un royaume bien au-delà de Dragostina.

Je me rappelle le regard qu’elle m’a alors jeté…..ces yeux couleurs d’automne se sont alors soudés aux miens, et elle m’a demandé :
-et Lavanière?

Encore là, je ne connaissais pas la réponse et me sentais vraiment ignare.

La voix du Maître des armes adoptant maintenant un ton très tendre comme on ne lui avait jamais entendu ajouta :

J’aurais alors voulu rencontrer ces seigneurs qui avaient faits du mal à cette belle beauté blonde. Je lui avais demandé bien doucement son nom. Je ne voulais pas apeurer ce petit oiseau, j’avais peur qu’elle ne s’envole. C’est uniquement à ma question qu’elle s’est animé, que l’étincelle de vie semblait être revenue habiter son corps. Soudainement elle s’était redressée fièrement et m’a dit :

-Chevalier Otésya.

La voix du Grand maître des armes se modifiant à nouveau, pour maintenant être empreint de respect, il poursuivit :

Je me rappel avoir rie, je me suis moqué d’elle, une chevalière….. Ah son regard, le feu venait de l’habiter. Elle m’a foudroyé du regard et tel que tu me vois, elle qui m’arrive à peine aux épaules et bien je te jure que j’aurais ravalé mes paroles. Avoir la possibilité de revenir en arrière, je ne les aurais jamais prononcés. Je me rappelle de ces propos, ils sont à jamais gravés en moi.

Fièrement, en me regardant droit dans les yeux, elle m’a dit alors :
-- Vous saurez que je suis plus qu’un bijou. Mon titre de chevalier je ne l’ai pas emprunté, ni même cherché, je l’aurais troqué s’il avait permis que mes compagnons aient la vie sauve.

Il m’a été attribué pour les vies sauvées, pour l’air de la liberté, pour qu’il n’y ait plus de souffrance. Alors ne pas respecter ce titre c’est dire que mes frères d’armes sont morts en vains, c’est oublier les souffrances vécues qui contribué à amener un monde meilleur.



Comme émergeant d’un songe, Rosco se tourne vers Rowenda, la regarde sévèrement dans les yeux et dit sérieusement :

Tu vois petiote, si la Grande Guerrière t’a attribué le titre d’écuyer c’est quelle a vu quelque chose en toi. Tu dois te montrer digne de ton titre et ne jamais courber la tête.

Rosco suit à nouveau Otésya du regard, elle se promène toujours d’un groupe à l’autre ne sachant pas que Rosco la regarde attentivement. Il ouvre à nouveau la bouche, prends un grand respire et se prépare à poursuivre son récit…..