Les loups

- "Promenons nous dans les bois !
Pendant que le loup… N’y est pas !"

Les deux enfants se promenaient dans les bois main dans la main, poussant la chansonnette, et tentant de trouver le chemin aux étoiles. La forêt était relativement épaisse, et des drôles de cris se faisaient entendre : "des hibouxxxxxx…" crièrent ils en cœur, sans se regarder. Ils étaient courageux et, main dans la main, ils semblaient pouvoir vaincre n’importe quel danger. Ficioz pointa le doigt en direction d’un bout de ciel dégagé.

- "Regarde là haut !"

Amarylisann leva la tête et soupira.

- "J’vois rien !"

- "Mais si, regarde bien ! C’est la plus grosse de toutes les étoiles ! Si on arrive à l’atteindre, on deviendra grand !"

- "C’est encore loin ?"

- "Je sais pas…"

Ils continuèrent à marcher droit devant. Elle trébuchait de temps à autre sur une racine qui sortait de la terre, mais il la rattrapait toujours. Elle s’empêtrait les pieds, parfois, dans un tapis de mousse inopportun, mais il était encore là pour l’aider à se redresser. Après de longues minutes, ils arrivèrent dans un étrange jardin qu’il ne connaissaient pas.

- "On est peut être allé trop loin ! Pis j’ai faim Ficioz !"

- "Chante avec moi, t’aura plus faim !"

Ils se remirent à chanter, insouciants du danger de ce jardin.

Humble voyageuse Nombre de messages : 10 Date d'inscription : 22/10/2006

Lucilla se promenait dans les jardins de Celerna-Ilonë, espérant revoir cette femme charmante qui l'avait menée en ces lieux de repos quelque temps auparavant. Elle marchait silencieusement, ne se souciant que du bruit de la nature et de sa beauté, que des couleurs innombrables et variées, que des parfums ennivrants et imagés... Chaque pas était un réel plaisir pour ses sens en éveil, et chaque seconde elle se remémorait la bonté de cette dénommée Lauralis qu'elle n'avait plus jamais revue...

Mais alors qu'elle respirait cette paix dégagée par le jardin qui semblait vivant et animé, elle entendit un bruit étrange, lointain tout d'abord, et se rapprochant sans cesse. Les voix semblaient si insouciantes qu'une image lui vint en mémoire, celle de l'enfant la plus pure qu'elle n'eut jamais connue, et des larmes coulèrent sur ses joues alors que son coeur se serrait. Elle murmura son nom et, tout en sachant que ce n'étaient pas Elle, la petite fille aux cheveux blonds, elle marcha en direction des voix des enfants, oubliant tout le reste et la beauté du jardin qui semblait à présent s'effacer.

Au détour d'un chemin, derrière une fontaine, elle les aperçut enfin, et resta là, sans bouger, mais sans pouvoir s'empêcher de pleurer en les observant. Elle les observa, mal dissimulée, se demandant qui ils étaient et ce qu'ils faisaient en cet endroit. Lorsque ses larmes eurent fini de couler et que l'image de la fillette s'échappa de son esprit, Lucilla sortit de sa cachette et marcha vers les deux enfants.

Devant eux, dans la pénombre du feuillage, se tenait une ombre tapie. Presque immobile, elle émettait des sons pour le moins étrange. Imperceptible de prime abord, il était difficile de deviner leur origine. Leur imagination d'enfant leur fit craindre le pire : un ogre mangeur d'enfants, un dragon affamé, ou pire encore, une horrible nourrice aux dents pointus et au chapeau jaune, volant sur un râteau magique. Ficioz porta sa main sur la bouche d'Amarylisann pour étouffer ses prévisibles cris. Elle fit de même au même instant...

Ils étaient très complice à n'en pas douter. Et ils savaient pouvoir compter l'un sur l'autre si besoin s'en faisait ressentir.

L'ombre semblait vouloir rester immobile. Les sons s'espaçaient et les enfants ne s'inquiétaient que davantage. Puis, sans qu'ils ne s'y attendent, les sons cessèrent alors même qu'ils comprirent qu'il ne s'agissait que de sanglots. L'ombre pleurait. Etait-ce un mauvais présage ?

A mesure qu'elle s'aprochait, les enfants réalisèrent leur erreur : loin d'être un monstre, c'était un jeune et jolie jeune femme qui s'avançait vers eux.

- "B'jour !" lui dirent ils, confiants.

Les mains quittèrent leur bouche. Curieux, ils n'eurent pas besoin de se concerter pour continuer :

- "Pourquoi tu pleures ?
Tes yeux sont tout rouges !
Tu as mal ?
Tu veux un bisou magique ?"

Humble voyageuse Nombre de messages : 10 Date d'inscription : 22/10/2006

Lucilla regarda les deux enfants, se rappelant ce que c'était, se rappelant comment c'était... Se rappelant toujours un visage, celui de la petite fille aux yeux bleus... Elle savait à quel point c'était innocent, un enfant, à quel point c'était naïf, et fragile... Elle savait que c'était insouciant, un enfant... Tant de tracas était ainsi évité, tant de souffrance, tant de cris et tant de pleurs, tant de torture aussi... Tout ce qui détruit une vie n'existe pas, l'âme est encore pure, le coeur encore intact... Mais avec les ans... Tout cela disparait.

Un sourire apparut sur le visage de Lucilla lorsqu'elle les entendit lui parler, lorsqu'elle put percevoir la gaité et la confiance dans leurs paroles, puis la légère nuance d'inquiétude dans le fond de leurs voix lorsqu'ils lui demandèrent ce qu'elle avait... Après leur avoir souhaité le bonjour, elle s'accroupit devant eux pour se mettre à leur hauteur, puis sourit à chacun d'eux :

- Ce n'est rien, je n'ai pas mal, tout va bien. Mais, comment vous appelez-vous ? Et comment êtes-vous arrivés jusqu'ici ?

Sourire aux lèvres, ils s’exclamèrent enthousiasmés et simultanément :

- " AmFiarycilisozann !"

Parviendrait-elle à discerner le nom des deux enfants ? Rien n’était moins sûr. A s’écrier ensemble, le son était une combinaison de voyelles et de consonnes imprononçables. Amarylisann souriait et se tenait toujours très près de Ficioz, plus téméraire qu’elle. Elle semblait bien douce, l’apparition qui leur avait fait si peur quelques minutes avant. Cette insondable tristesse qui semblait l’envahir était, non pas étrange, mais comme inappropriée. Si douce, et si encline à la gentillesse, l’on ne méritait pas tant ce mal être qui pouvait causer des larmes. Mais tout ceci dépassait les enfants, et ils s’enthousiasmèrent de rencontrer quelqu’un qui pouvait les aider.

- "On cherche les étoiles !
On nous a raconté qu’il y avait un… euh… une grande, grande, grande … euh… maison, avec pleins d’étoiles autour !
Pis une vieille dame des loups, j’crois qu’c’est ça, l’avait construite de ses mains !"

"C'est bien ici !..."

Souriante, Lauralis approcha les nouveaux venus en marchant sur le tapis d'herbe verte qui tapissait le sol des jardins en cette saison.
Epoussetant sa longue robe noire, elle s'inclina devant eux.

"Je vous salue, qui que vous soyez, et vous souhaite la bienvenue en ces lieux. Il y a bien une grande maison près d'ici, et je vous y conduirais avec joie si vous désirez la visitez, vous y reposer ou encore prendre quelque nourriture."

Elle scruta un instant les visages des enfants et de Lucilla avant de reprendre, un sourire espiègle aux lèvres.

"Quand aux étoiles... Elles sont toujours là. Quittez le dôme des arbres et il vous suffira de lever les yeux pour les voir.

Un geste plus facile sans doute pour les enfants que pour les adultes."

Se retournant, elle prit la direction du temple. D'un geste amical, elle invita tous à la suivre.

"Et, vous savez... Cette dame avec des loups n'était pas si vieille. En fait, elle était restée plus jeune que beaucoup..."

Les deux bambins fixèrent la nouvelle venue. Elle semblait bien douce, et semblait savoir bien des choses. Les enfants s’étonnèrent et lui dirent, d’une seule voix :

- "Mais t’es qui toi ?"

Ficioz ne se laissa pas charmer et restait méfiant. Il regarda Lauralis dans les yeux pendant que la fillette, plus romanesque, scruta le ciel à la recherche des étoiles. Plus courageux que la fillette, il comptait bien en savoir plus avant de la suivre.

- "Olchidann nous a toujours dit de pas suivre comme ça les gens qu’on connait pas !"

Lauralis semblait déjà se diriger vers les lieux que montrait son geste. Ficioz pourtant lui devança le pas, et continua :

- "Hey ! Stop ! D’abord t’nous dit qui t’es !"

A l'invective du jeune enfant, Lauralis stoppa sa marche.
Se retournant, elle posa un visage souriant et amusé sur les enfants.

"Qui je suis ? Quelle importance a le nom des choses en ce lieu ?

Je me nomme Lauralis. Lauralis d'Hyperborea, tianka du temple Celerna-Ilonë dont vous avez trouvé les jardins..."

Elle avisa le ciel devenant plus nuageux.

"La pluie fait partie, comme le soleil, de l'ordre des choses. Si vous ne voulez la subir, il faudra hâter le pas..."

Sur ces mots, elle reprit son chemin.

Les propos de Lauralis étaient bien étranges pour les deux pauvres enfants au vocabulaire plus que limité. Les propos de la belle Dame ne les avaient pas rassurés, bien au contraire. Pourtant ils se sentaient bien. L’air était frais, et les nuages semblaient s’agglutiner dans le ciel. …

- "Tan… kia… Tankia ?!?" murmura Ficioz. Il fronça les sourcils, comme soucieux de se concentrer sur des mots qui n’avaient pas de sens pour lui. "Celerna-Ilonë ?!?" murmura t’il à nouveau, les sourcils toujours froncés.

Il fixa Lauralis qui avait entamé sa marche vers ce temple. Elle avançait avec beaucoup de grâce, et semblait comme portée par l’herbe qu’elle foulait de ses pieds. Les enfants la suivirent, certes peu rassurés, mais à la fois confiant pour des raisons floues.

- "C’est quoi une tianka ?"

A la question de l'enfant, Lauralis ne put empêcher un sourire ironique d'ouvrir son visage. Sans cesser de marcher, elle tourna la tête vers les anfants et parla d'un ton amusé:

"Une Tianka... C'est ainsi que nous appelons ici la personne qui s'occupe de classer les livres, qui écrit chaque jour ce qui s'est passé afin que nul ne l'oublie et surtout, surtout, c'est elle qui raconte les histoires la journée pour apprendre des choses aux autres et le soir pour les aider à s'endormir..."

Elle regarda un instant devant elle. Au loin, la silhouette du temple de pierre se détachait sur l'horizon.

"En fait, on dit "La" Tianka, parce qu'il n'y en a qu'une...

Oui, le plus simple pour vous expliquer ce serait de dire que..."

Elle s'arrêta un instant et regarda les enfants en écartant les bras. Avec un sourire joyeux et énigmatique à la fois, elle dit juste:

"La Tianka, c'est simplement moi."

Humble voyageuse Nombre de messages : 10 Date d'inscription : 22/10/2006

Lucilla était restée muette depuis l'arrivée de Lauralis, alors qu'elle espérait la revoir depuis son dernier passage en ces lieux, car même si elle n'avait rien fait d'autre que la guider alors qu'elle était perdue et malheureuse suite à de trop nombreuses marques de haine de la part de Lyssia à son égard, la jeune femme lui avait été d'un grand réconfort. En effet, elle s'était souvenue de sa bonté et de son attention alors que la reine de Rhyliendalh ne l'avait habituée qu'à d'ironiques paroles, de cruelles moqueries et toujours du mépris. Mais ce n'était pas de sa faute selon la jeune princesse, car comme elle l'avait deviné grâce à la lecture d'anciens manuscrits conservés dans la Grande Bibliothèque de Rhyliendalh dans lesquels figuraient de nombreux témoignages, Lyssia était d'une nature mauvaise et méchante, de par ses origines et sa naissance.

D'une timidité excessive, Lucilla n'osait dire un mot et se contentait d'assister, muette et en retrait, à l'échange entre les deux enfants et Lauralis. Elle ne se lassait jamais d'écouter les autres parler, peut-être suite à sa petite enfance où elle pouvait rester de longues heures au coin du feu dans une petite pièce du château de sa grand mère, alors qu'elle lui racontait des histoires ou lui parlait de l'expérience de sa vie.

De plus, cet endroit, elle l'avait déjà remarqué la dernière fois, avait quelque chose d'étrangement apaisant, et elle le voyait comme un lieu vivant où chaque parfum était couleur de gaité. Peut-être le lys lui rappelait-il cette enfant qu'elle ne pouvait plus approcher ? Elle revit l'espace d'un instant l'image de la petite fille riant, une fleur de lys dans les cheveux. La petite fille blonde courait dans les champs, les cheveux aux vents, un sourire omniprésent aux lèvres. Son visage illuminé comme un rayon de soleil transportait de joie Lucilla, et au moment où l'enfant tournait vers elle ses yeux d'un bleu intense, la jeune femme revint à la réalité.

Elle ne la verrait plus.

Alors, et chassant ces images de son esprit, elle reporta son attention sur les deux enfants dans le Jardin et Lauralis, qui appartenaient au présent.

"Une Tianka... C'est ainsi que nous appelons ici la personne qui s'occupe de classer les livres, qui écrit chaque jour ce qui s'est passé afin que nul ne l'oublie et surtout, surtout, c'est elle qui raconte les histoires la journée pour apprendre des choses aux autres et le soir pour les aider à s'endormir..."

Ficioz toisa Lauralis du regard, intrigué par ses propos. L'index de sa main droite dressé comme pour prendre la parole, il resta silencieux. Elle n'avait pas fini de parler, et malgré son caractère pressé, il avait appris à suivre les quelques recommandations de premières politesses d'Olchidann, leur petite maman. Mais déjà avait il quelques choses à dire, pourtant il attendit...

C'est alors que Lauralis lui dit les dernières paroles qui le fit se mettre hors de lui...

"La" Tianka, parce qu'il n'y en a qu'une...

Ni une ni deux, le petit garçon s'écrit : "Non c'est pô vrai !!!
On a aussi une ... euh... Tianka...
Elle s'appelle Olchidann...
C'est not' petite maman à nous tous...
Elle prend soin d'nous.
Elle nous raconte des histoires...
Elle nous fait même parfois à manger.
Mais elle fait pas du bon.
C'est toujours tout noir, et ça pue...
C'est tout brûlé !
Mais t'es une menteuse !
Olchidann elle reste aussi enfermée dans son cabanon, pour faire des dessins sur des pages blanches.
Elle envoit ses dessins aux gens du dehors.
Et tout et tout...
Pis elle a aussi tout pleins de livres.
C'est pour ça qu'elle connait pleins d'histoires..."

Ce fut sans s'arrêter que Lauralis répondit à l'invective juvénile. tout juste tourna-t-elle quelque peu la tête en souriant...

"Oh... Loin de moi l'idée de dévaloriser votre... Tianka. Cependant, il serait juste de dire qu'en ces lieux, je suis la seule. Puisqu' Olchidann n'est pas venue avec vous, n'est-ce pas, puisqu'elle reste enfermée dans son cabanon ?"

S'arrêtant soudain, elle désigna du bras le temple qui se dressait maintenant devant eux. Elle regarda profondément les enfants puis Lucilla.

"Nous voici non loin du temple et du lac étoilé. Voulez-vous venir avec moi voir ses eaux scintillantes ? Ensuite, vous pourrez si vous le désirez comparez les talents culinaires de votre Tianka avec les miens."

En effet, à l'ouest, le soleil déjà baissait sur l'horizon...

Il resta silencieux, dépité d'avoir été remis à sa place. Que dire de plus ? Grand bien lui faisait de parfois se taire... Ils marchèrent alors, lui et Amarylisann, à la suite de la Tianka. Tous les deux curieux de ce lieux dont ils avaient tant entendu parler, ils continuèrent sans dire un mot. Ficioz contemplait le ciel et les étoiles, quand à Amarylisann, elle, contemplait la belle robe de la Tianka. Celle ci leur proposa alors de gouter à sa cuisine. Elle était affamée, comme une enfant en pleine croissance, et lui était curieux de pouvoir comparer avec la cuisine d'Olchidann.

- "Tu vas nous faire quoi à manger !
On t'prévient quand même !
On mange pas de viande nous !
Manger d'l'animal c'est mal ...
On préfère les pommes !
De préférences les toutes petites, ca s'apelle rubinette j'crois !"