Un jour presque comme les autres...

Le soleil se couchait. Lyssia regardait par la fenêtre, songeuse. Elle pensait à cette enfant qui comme chaque année à la même époque partait tôt le matin pour cueillir des fleurs. Dès qu'elle avait constitué un bouquet assez gros, elle rentrait chez elle où plus personne ne dormait. Son père était parti au travail sans qu'elle ne l'ait vu, sa mère était occupée, comme chaque matin, à recoudre de vieux habits. Comme chaque année, elle feignait la surprise devant les fleurs multicolores, comme si elle avait oublié ce jour. Un sourire illuminait alors son visage, qui comblait sa fille de joie.

Chez les paysans qui étaient trop pauvres pour offrir des cadeaux tous les jours, une journée était symboliquement dédiée aux mères, et fêtée par les enfants, qui leur exprimaient leur gratitude pour l'attention, la patience et l'amour de celle qui leur avait donné la vie. Les valeurs des pauvres étaient respectées et malgré l'absence de richesse, la joie des familles passait par de petites attentions, et la fête des Mères n'était jamais oubliée.

Les aristocrates ne prenaient pas au sérieux les rituels des pauvres qu'ils méprisaient, et n'étaient pas aussi proches de leurs enfants que les paysans, à cause des nourrices qui se chargaient de leur éducation. De plus, les cadeaux perdaient leur valeur de par l'abondance des richesses, qui ne permettaient pas la mise en avant de célébrations. Alors que l'hypocrisie règnait en maîtresse dans les milieux riches et ne laissait guère de place aux véritables sentiments qui étaient inévitablement cachés, les paysans trouvaient quelquefois le bonheur par des gestes simples, qui prenaient tout leur sens.

Elle n'avait même pas vu Grinaë aujourd'hui... Alors qu'elle même travaillait beaucoup plus qu'à l'ordinaire, sa fille avait passé la journée avec d'autres enfants d'aristocrates. Des enfants qui ne savaient pas quel était ce jour... Un bruit la fit se retourner : Grinaë, dans sa robe de chambre blanche, ses longs cheveux blonds détachés, était debout, ses yeux à demi fermés.

- Tu ne m'as pas raconté une histoire...

Comme chaque soir qui correspondait à cette fête qu'elle affectionnait particulièrement, Lyssia prit sa fille sur ses genoux. Chaque année elle lui racontait des histoires qui semblaient tout droit sorties de son imagination, dans lesquelles une morale inconnue des riches aristocrates était seulement évoquée, et où les gens n'avaient besoin que de voir un sourire pour être heureux. Elle lui racontait les histoires d'un autre temps, d'un autre peuple, avant de s'apercevoir que Grinaë s'endormait dans ses bras avant la fin de son histoire. Alors seulement, et devant la vision de cet ange qu'elle aimait plus que tout, elle souriait, enfin.