Rhyliendalh avait été sacagé. D'innombrables villages étaient morts ce soir. Des milliers de vies détruites. Rhyliendalh exhalait sa douleur par les flammes et les épaisses volutes de fumée noire qui s'élevaient vers le ciel. Des hurlements de femmes, des pleurs d'enfants. Les gémissements des mourants. Et les larmes des hommes. Des corps innombrables recouvraient le sol. Un soldat était assis au milieu d'eux. Son casque de guerrier tomba à terre. Le découragement se lisait sur son visage, et ses yeux inexpressifs semblaient regarder dans le vide, quoique posés sur son camarade et ami, qui était mort dans d'atroces souffrances sous ses yeux. Le vent fit rouler son casque, au moment où une ombre passait. Une silhouette marchait, toute vêtue de noir, sans que l'on puisse rien distinguer de son visage. En effet, Une cape la dissimulait entièrement et elle allait, semblant flotter au-dessus de tous ces corps sans vie. Elle s'arrêta un instant, à une dizaine de mètres devant le soldat, et se tourna vers lui. Celui-ci leva les yeux vers l'ombre, mais ne ressentit rien. Ni peur, ni mal, ni incompréhension. L'ombre enfin s'en détourna et continua son chemin, au travers des cadavres comme si la Mort les avait pris d'un geste et tous en même temps.
L'ombre marchait sans ralentir, elle avançait sans faiblir, et voyait au cours de son voyage silencieux ce que personne ne devrait jamais voir. Un royaume détruit, abandonné à l'appêtit dévorant des flammes, un peuple mourant et gémissant. Une mer de cadavres, tous noyés dans leur propre sang. Des vies ravagées par la guerre. Des familles détruites. Des enfants qui ne reverront jamais leur père. Des femmes se retrouvant seules avec quatre, cinq ou six enfants. Une souffrance qu'elle ne devait jamais lire dans les yeux de quiconque. Elle ne s'arrêtait pas, marchant toujours droit devant, traversant villages après villages, ne voyant que souffrance après souffrance, désespoir après désespoir.
Un champ de bataille. Tant de soldats à terre, tant de vies prises par la Mort, tant d'hommes qui ne se relèveront jamais plus. Un silence, le silence après la bataille, après la mort, l'immobilité de ce paysage désolant, le calme. Le calme après ces cris, parfois de douleur, parfois de haine. Parfois de désespoir. Combien avaient laissé une famille derrière eux ? Combien avaient promis à leurs fils, à leurs femmes de revenir sains et saufs, sans pouvoir tenir leur promesse ? Combien de vies avaient-ils pris avant que la leur ne soit enlevée à leur tour ? Un gémissement. L'ombre s'arrêta. Une main se levait difficilement. L'ombre s'en approcha. Un soldat était encore vivant, et agonisait. Elle ne savait pas depuis combien de temps il était là, à souffrir, à voir la vie s'échapper lentement de son corps meurtri. Elle ôta son casque, et fut frappée par son visage. Il sortait à peine de l'enfance. Elle vit son regard empli de détresse, ses yeux bleus qui montraient sa souffrance. Une mèche de cheveux sortit du capuchon de l'ombre. Le soldat tenta d'attraper les cheveux noirs, comme pour retenir le peu de vie qui lui restait. Le capuchon bascula en arrière. Le soldat ouvrit grand les yeux, scrutant avidemment le regard de la femme qui le l'observait d'un air triste. Aucun mot ne fut échangé, mais il tirait toujours les cheveux en gémissant. Lyssia, sans quitter son regard, mit fin à ses souffrances. Sa main lâcha ses cheveux et tomba. L'enfant s'éteignit dans un souffle. Son regard bleu se fit à nouveau vide, la détresse et la souffrance l'avaient quitté. Elle ferma ses yeux, puis se releva. Elle regarda autour d'elle. Des corps à perte de vue. Combien avaient son âge ? Elle remit son capuchon, dissimulant à nouveau son visage, et repartit sans un mot. Son voyage n'était pas terminé...