Un souffle de vérité

A cette heure si matinale, la Salle de Discussion était vide, et le silence ambiant à peine troublé par le frottement d'un balai contre le sol.
La femme qui faisait le ménage leva les yeux de son ouvrage en entendant la porte s'ouvrir, et vit une jeune personne entrer. Elle était souriante, comme étonnée d'être là, et pourtant on la sentait sûre d'elle. Elle n'était cependant pas familière du Temple cela se devinait à son allure.

La ménagère posa son instrument contre un meuble, et joignant les mains s'approcha de la visiteuse. Elle s'inclina respectueusement devant la dame, puis se redressa et lui dit :

- Bonjour ma Dame, je me nomme Rozalya.
Si vous aviez l'obligeance d'attendre ici, je vais aller vous chercher de quoi vous restaurer et faire quérir quelqu'un qui pourra vous accueillir et répondre à vos questions ....
S'inclinant de nouveau, elle n'attendit point et sortit d'un pas rapide.


Quelques minutes plus tard, elle revint avec un plateau chargé de fruits appétissants, de quelques gâteaux dorés et d'un pot fumant, accompagné d'une tasse. Elle posa le tout sur une table, et dit à la jeune femme :

- Ma dame, j'ai prévenu que vous étiez là, nul doute qu'un shinay ou quelqu'autre membre du temple ne va tarder à passer, aussi mettez vous à votre aise, je termine mon travail ici, et peut-être pourrez vous me raconter pendant ce temps ce qui se passe en d'autres contrées?

Tout en terminant sa tirade, elle se saisit de son balai et continua à balayer diligemment, souriant chaleureusement à la jeune femme en face d'elle.

Vaste et bien aérée, a peine effleurée encore par le soleil en cette heure si matinale, la Salle dégageait, un peu comme partout au Temple, une impression rassurante de sérénité. Juste un bien être qui s'insinuait dans son coeur, qui l'emplissait et adoucissait son regard, à l'image du ressac qui nous apaise malgré nous, malgré nos doutes, malgré nos peurs, malgré nos futiles détresses.

Elle n'avait pas eu le temps de répondre à la femme qui s'était inclinée devant elle, s'éclipsant presque aussitôt, furtive et silencieuse comme une ombre. La jeune femme s'accorda alors quelques instants de doute, insidieux. Etait ce la bonne décision? Elle avait toujours craint de s'engager, toujours eu peur d'abandonner cette liberté qui lui était si chère, cette liberté qui aujourd'hui lui paraissait... surannée. Mais n'était ce qu'une illusion, cette sensation qui l'oppressait, qui lui hurlait de se laisser à cette intuition, de laisser sa liberté s'envoler avec la légéreté d'un oiseau, lui laissant ce sentiment de sérénité qu'on a en quittant de bons amis avec un sourire, juste un sourire?

Le retour de Rozalya l'arracha à ses doutes et à ses craintes, qui se noyèrent dans son sourire. Qu'avait elle à craindre? S'approchant du plateau que portait la femme, conquise par l'odeur de la nourriture, elle lui rendit son sourire, avant de repondre d'une voix légèrement chantante, agréablement modulée.

-Je vous remercie, Dame... Quand aux contrées voisines, ma foi, je dois vous avouer qu'il y en a tant et tant que je ne saurais toutes vous les décrire... Mais je peux essayer, si vous le souhaiter.

Elle s'interrompit quelques secondes, puis, encouragée par le sourire de la femme, elle entama un récit des dernières terres qu'elle avait visitées, lui parlant des vertes forêts de Bilingri, des sombres marais de Khatovar, qu'elle n'avait qu'effleurés de sa route; elle lui conta les profondes mers d'Hilandris la bleutée, les sombres arcanes du Labyrinthe, la beauté de Fain Celeb Otlima, les terres prospères de Noir Cendre; elle raconta la guerre de Morzl, le pont qui s'effondrait sous ses pas, alors qu'elle voyait, impuissante, ses compagnons s'en aller sans elle, elle lui narra la curiosité qui l'avait conduite jusqu'en ces lieux...

Pendant que la Dame se restaurait, Rozalya terminait sa tâche. Une fois qu'elle eu fni, elle posa son balai et ses ustensiles de nettoyage dans un coin , puis vint s'assoir près de la jeune femme. Elle posa la tête dans ses mains, coudes sur la table, et écouta attentivement le récit que son interlocutrice entammait.

Elle parlait de contrées que Rozalya n'avait jamais vues et ne visiterait probablement jamais, de vertes forêts, des mers bleues apaisantes, domaines de peuples Naggas, mais elle parla aussi des horreurs traversées, de la guerre et des ravages qu'elle causait parmi les êtres vivants.... suspendue à ses lèvres, rozalya buvaient les paroles de cette jeuen femme, douce et lasse, qui paraissaient si craintive. au début elel avait commencé son récit d'un ton hésitant, puis s'était animée à parler de son voyage, pour finir dans un quasi-murmure empreint de tristesse et nostalgie en racontant tout ce qu'elle avait perdu.

Rozalya était très émue de l'entendre ainsi livrer et d'un geste spontanné prit la main de la jeune femme et la serra douement.

Ce fut à ce moment qu'elles s'aperçurent que la porte était ouverte, un grand Nagga adossé au chambranle. Il se redressa quand elles le regardèrent, et adressa à la servante qui faisait mine de se relever un geste lui enjoignant de rester assise :

- Merci d'avoir pris soin de notre invitée, Rozalya !

Il s'approcha de la table où était installées les deux femmes, et s'assit à leurs côtés. Regardant la nouvelle venue, il inclina la tête et lui dit:

- Je vous souhaite la bienvenue ma Dame. Je suis Aëlthiren, Nagga de Laënwëlyn, et Moki de Celerna-Ilonë. Me feriez-vous l'honneur de me dire votre nom?
J'espère que votre voyage ne fut pas trop pénible -bien qu'ayant pu saisir la fin de votre conversation, il semblerait que vous ayez vu des choses qui devraient être épargnées à tout le monde....
Si vous vous êtes restaurée, souhaitez à présent vous vous reposer dans une de nos chambres ?

Sinon, peut-être désirez-vous vous entretenir avec nous d'un sujet particulier ?

La jeune femme sourit a Rosalya, touchée par sa sollicitude. Pour sa part, elle ne souffrait plus tellement de ces souvenirs, même si l'odeur âcre du sang restait toujours aussi vivace en elle. On n'oublie pas certaines choses... Elle avait accepté ce qu'elle avait vu, et sans doute que tout ces souvenirs avaient en quelque sorte mené ses pas jusqu'aux Jardins, jusqu'en ces terres, ce pays où l'on avait pas encore oublié la beauté du chant d'un oiseau...

Au bout d'un silence, levant les yeux, elle apercut un nagga haut de taille les observant depuis l'entrée. Elle lui sourit, sans laisser paraitre sa surprise. D'après la réaction de la femme, il n'était guère un invité ici, et il avait l'aisance, en s'approchant, de ceux qui se savent chez eux. Un.. Moki, donc? Elle inclina la tête a son salut, plongeant ses yeux gris dans ceux du Seigneur, soutenant son regard sans hésiter.

-Je vous remercie pour votre accueil, Seigneur Aëlthiren; c'est toujours un réel plaisir que de s'arrêter au Temple. Je me nomme Shaelia, pour ma part... Et certaines choses ne devraient pas exister, c'est sur... Mais quelque part, ne nous offrent elle pas l'occasion de profiter pleinement de la Paix?

Elle eut un frisson, réalisant qu'il était temps à présent de sauter le pas. Une dernière hésitation courut le long de sa gorge, balayée par le regard bleu-vert du Nagga. Il dégageait une aura de force tranquille, de paix et de courage que la jeune femme ressentait jusqu'au creux de son âme. Elle y puisa sans vergogne pour prononcer les mots suivant, les premiers mots qui lui coutent quelque chose...

-Ma foi... J'ai certes une demande à formuler, Sieur. Voyez vous... Je n'ai jamais... Comment exprimer cela? Je n'ai jamais souscrit à un quelconque autre seigneur que ma propre gouverne. Je n'ai ni terres, ni possession autres que ce qui m'accompagne dans mes errances; je n'ai nulle autre richesse que ma liberté. Ma liberté...

Cette liberté qui m'a toujours accompagnée et que je n'ai jamais voulu céder, beaucoup aurait donné pour pouvoir en avoir la moitié seulement, j'en suis consciente. Je n'ai que peu souffert du joug de notre époque, de la guerre ou des privations; je suivais le cours de ma vie, indépendamment de celui du monde. Mais...

Peut être est ce difficile à comprendre, mais la liberté parfois devient elle même le plus impitoyable des maîtres. Un maitre sans fouet, une prison sans barreaux, certes... Mais a force de s'obstiner à ne jamais s'engager, on piétine, on s'arrête. Et si on s'arrête, on recule...

Je ne sais pas si je m'exprime clairement, mais voyez vous, tout cela, je l'ai compris ici, en ces lieux. Un souffle plus puissant que la liberté, un souffle de vérité... Et je l'ai compris ici. C'est pourquoi je voudrais pouvoir continuer à avancer, aux cotés des Guides du Temple, aux cotés des Mokis.

La jeune femme s'interrompit quelques secondes, reprenant son souffle. Elle ne s'était pas apercu qu'elle avait oublié de respirer. Cela faisait tellement longtemps qu'elle n'avait rien demandé, qu'elle n'avait pas parlé d'elle... Mais après tout, n'était ce pas la première preuve de sagesse que de cesser de se cacher des autres? Un long frisson courut le long de sa colonne. Elle n'avait pas cessé de soutenir le regard du Seigneur, et le gris clair de ses yeux évoquait la tristesse d'un ciel de pluie, l'espoir qu'on n'ose pas envisager, le rêve qu'on n'ose pas regarder, de peur de le briser...

Elle avait la gorge sèche, légèrement hébétée, comme en suspens à ses lèvres. Juste une seconde, une seconde de flottement, une seconde sans bruit, une seconde sans cri, une seconde avant que le fil ne se rompe, la précipitant dans le vide; juste une seconde, une seconde de plus, ses mots en suspens, ses yeux accrochés aux siens. Comme le naufragé s'accroche désespérément à la bouée...

Il lui sourit. La jeune femme lui rend un sourire serein, aussi serein qu'elle le peut, soudain rassurée; pourquoi s'inquiéter? Ecoutant à peine les quelques mots qu'il lui adresse, elle est déja ailleurs. Elle n'avait pas imaginé à quel point elle avait eu, encore, au fond d'elle, un reste d'appréhension, de peur, de... La chaleur des mains et du regard d'Aelthiren balayèrent tout cela en elle aussi facilement que le vent emporte les nuages.

-Vos jardins m'ont déja bien souvent fait l'honneur de leurs ramures; je m'en vais les retrouver de ce pas... Je vous remercie de tout coeur pour votre écoute.

Avec un dernier sourire et une inclinaison de la tête, Shaelia se leva avec la grâce d'un chat, les mains toujours réfugiées au creux de celles du Nagga.

Il serra une dernière fois les fines mains douces et chaudes entre ses paumes, puis sorti de la salle. Il se dirigea vers l'intendance où il savait pouvoir trouver une servante ou un valet pour s'occuper de la jeune femme.
C'est avec plaisir qu'il vit Rosalya dès le premier coup d'oeil .

- Rosalya, peux-tu rejoindre la dame qui attend dans la Grande Salle ? Fais la sortir dans nos jardins, et proposes -lui de lui servir un thé sous les frondaisons de nos grands arbres, près de l'entrée principale du Temple. Je l'y rejoindrais après avoir consulté les autres membres de Celerna.


*****
Lui ayant donné ses instructions, il partit vers la salle de recrutement, où il laissa un message.
Quelques heures plus tard, il y retourna pour lire les réponses. Un grand sourire lui illumina le visage, tandis qu'il en prenait connaissance.
Il reposa les parchemins, et sortit d'un pas hâtif, se dirigeant vers les jardins.

*****
Il décida toutefois d'aller prendre un bain ressourçant dans l'onde claire avant de rejoindre Shaelia, car plusieurs heures dans les vieilles salles poussiéreuses du Temple avaient mis son épiderme à rude épreuve.
Revenant de sa baignade, il se dirigea vers le Temple, et fit en chemin la rencontre d'une voyageuse épuisée. Il lui proposa de rejoindre l'ombre des arbres où il était attendu par une invitée et une servante, et pris sa besace pour l'aider.
Il se mit en marche le long du chemin, suivi par la jeune femme. Il la guida vers les arbres, sous lesquels on aperçut bientôt deux femmes en train de parler. Il s'agissait de Rosalya la servante et Shaelia la voyageuse, assises toutes deux autour d'un plateau sur lequel tronait une théière, et des tasses. Des petits biscuits agrémentaient le tout.

- Mesdames, me revoilà, dit-il en saluant.

Rosalya se leva et partit vers le temple ramener des tasses et plus de nourriture.
Il fit signe à la nouvelle venue de prendre place, et présenta Shaelia, laissant à la druidesse le soin de se nommer.

Puis il s'adressa à Shaelia:

- Comme vous vous en doutez, si je vous rejoins ici c'est pour vous faire part de la décision de Celerna face à votre requête.

Il marqua un pause, s'humidifia les lèvres.

- Vous n'êtes certes pas parmi nous depuis fort longtemps, cependant je sens que l'on peut vous faire confiance, et je vous ai présenté ainsi. Cela a du convaincre les Membres de Celerna, car j'ai l'honneur de vous annoncer que vous êtes désormais Moki en notre sein.
Pour l'heure, je vous laisse vous reposer et profiter, et dès demain, je vous ferais découvrir le mode de fonctionnement du Temple.

Il se tut, attendant la réaction de la nouvelle recrue de Celerna-Ilonë

Les choses s'étaient enchainées rapidement, un peu trop rapidement pour la jeune femme. Elle avait suivit du regard le nagga -comment avait il dit s'appeller? Aëlthiren?- qui s'était éclipsé, bien vite remplacé par la femme qui l'avait accueillie précédemment, Rosalya. Shaelia lui fit un immense sourire, heureuse de la recroiser. Elle n'avait pas passé beaucoup de temps avec la ménagère, mais sa discrète efficacité, son écoute et sa curiosité l'avaient conquise...

Elle la suivit dans les dédales tortueux des Jardins, et elles s'installèrent à l'ombre d'un Saule Pleureur, un arbre que la jeune femme avait toujours adoré, pour sa tristesse inexorable, à la beauté touchante... Le vent dans ses feuillages avait été le seul bruit qu'elle écouta pendant quelques minutes, comme emportée par la mélodie des rameaux. La conversation avait ensuite coulé, naturelle, Rosalya parlant des gens qui débouchaient au Temple, Shaelia de ceux qu'elle croisait au détour de ses voyages. Rires et larmes...

Aëlthiren -puisque tel était bien son nom- déboucha quelques temps après, plus rapidement que la jeune femme ne l'aurait espéré. Elle n'avait que peu songé à sa demande, qui, en ces instants de paix, se jouait au gré des Mokis... En le voyant revenir, elle éprouva un curieux petit fourmillement dans le ventre. Angoisse? Il était accompagné d'une femme à la démarche sereine, délicate. Sans bruits, Rosalya s'était éclipsée, et Shaelia se sentit légèrement désemparée. Serait elle vraiment fixée, maintenant? Son coeur manqua un battement.

Si la seule indication de ses troubles était une once de rose pâle sur la blancheur de sa peau, elle ne laissa rien paraitre d'autre.

Enfin, la décision tomba. Elle était acceptée... Elle fut elle même étonnée par le soulagement qui fusa de son coeur et se répandit dans tout son corps, telle une vague de fraicheur. Acceptée? Ainsi, plus de liberté, ou moins, certainement... Mais lorsque son regard plongea dans le bleu immense de celui du jeune homme en face d'elle, elle sentit que, quelque part... Ca devait vraiment en valoir la peine.

Elle se rendit brusquement compte qu'il attendait peut etre une réponse. Rougissant franchement, elle balbutia:

-Je... Je...

Elle se rendit brusquement compte qu'elle devait etre relativement grotesque, et éclata de rire.

-Je suis désolée, fit elle en riant à moitié encore. Je ne pensais pas être si vite fixée, et c'est à la fois le bonheur d'être parmi vous et le manque de mots pour vous remercier qui me fait rire...

La jeune femme semblait passer par différentes émotions contradictoires, et elle riait, encore sous le coup de la révélation qu'elle venait d'entendre ...

-Je suis désolée, fit elle en riant à moitié encore.
Je ne pensais pas être si vite fixée, et c'est à la fois le bonheur d'être parmi vous et le manque de mots pour vous remercier qui me fait rire...

Il sourit à son tour devant tant d'ingénuité et de naturel. Décidément ce genre de qualité se faisait trop rare... Il appréciait la présence chaleureuse de sa voisine, et ressentait par sa voix les émotions qui se bousculaient en elle. Ses yeux très expressifs le regardaient avec confiance, et il en fut touché.
Il savait qu'elle était passée par maintes épreuves avant de parvenir au Temple, et qu'il ne devait pas lui être facile de se confier ainsi, de baisser sa garde. Il était heureux qu'elle se soit arrêtée en ces lieux, mais ne pouvait définir pour quelle obscure raison cette venue le rendait gai.

Toujours installé près de la jeune femme, il contempla en silence la femme-druide, jusque là silencieuse, qui était assise à leurs côtés. Elle avait grignoté et bu un peu et ses joues avaient repris des couleurs, malgré tout, elle semblait encore épuisée, voire même prête à s'endormir sur place... Pouvait-il la laisser dehors ainsi ? Il n'ignorait pas que les druides étaient en harmonie avec la nature et que cela ne l'aurait pas dérangée d'avoir l'herbe pour couche et le tronc d'arbre pour oreiller, mais il ne pouvait se résoudre à laisser quelqu'un dehors alors que visiblement elle venait de loin et avait probablement des choses fort importantes à communiquer aux représentants du Temple ....

Il se décida toutefois, et leur proposa à toutes deux de s'en retourner au Temple car l'après-midi touchait à sa fin, et que le crépuscule n'allait tarder à faire son apparition, l'on sentait d'ailleurs déjà un faible souffle de vent, plus froid que la bise du jour, qui commençait à faire frissonner l'herbe et les feuilles autour d'eux....

Mes Dames, souhaitez-vous retourner au Temple? Je vous y montrerai vos chambres, et vous pourrez vous y reposer à votre guise.
Quant à vous, Moki Shaelia, demain sera amplement temps pour vous de découvrir les différentes parts du Temple et de vous initier à vos nouvelles fonctions ....