Il murmura avec une douceur indicible quelques paroles étranges à l'oreille de sa monture, dont le noir éclatant semblait contraster avec le ciel emplit d'une lumière écarlate en cette fin d'après-midi.
Les brumes matinales s'étaient prolongées, et l'on y discernait les plus terribles des destins comme les plus innocents espis. L'homme eût un sourire ambigüe, puis releva sa tête encapuchonnée. Il le sentait... Ici il lui paraissait mieux capter le M'Onde.
Il eût un nouveau sourire, que n'éclaira que faiblement l'ardeur déclinante de l'Astre-Roi. Sa main gauche, gantée de noir, se porta à son visage en un signe vieux comme plusieurs fois ses ancêtres. Un Salut éternel et hors d'âge aux batisseurs de ce lieu, qui avaient sû en sentir les vibrations toute particulière... Le Tempe du Celerna-Ilonë se levait au-dessus du monde comme une enclave étrangère aux terres sur lesquelles il reposait pourtant.
Quelques paroles nouvelles firent accélerer l'allure au M'Haara, cette race de Chevaux Libres dont Khan était l'un des derniers dépositaires. Il ressentait plus vivement que jamais son harmonie, et il prolongea un instant la plénitude de son esprit, avant de le rappeler à lui. Il aurait été impoli d'user de ce genre de dons en un tel autel de paix.
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Il entra dans la salle de discussion de ce pas souple et rapide qui était le sien, et qui donnait l'étrange impression qu'il ne touchait que trop peu terre. Comme s'il eût été plus léger que l'on n'aurait pû le croire au premier abord.
Son regard, dissimulé par les profondeurs de la large capuche de sa cape de voyage d'un bleu-gris moiré et changeant, était sensiblement intense. Instinctivement, il étendit son esprit, et fut étonné de la profondeur des Présences qu'il sentait dans la Salle. Assurément des gens à part... Il lui tardait de faire connaissance, aussi s'avança-t-il plus avant, puis rejeta sa capuche d'un geste distrait, comme pour s'excuser d'avoir eût l'impolitesse de la garder jusque là.
Ses traits étaient fins, définitivement elfiques mais comme tempérés par d'autres caractères plus humains. On y sentait la douceur et la passion, la mansuétude et la réserve, ainsi qu'une empathie naturelle qui le renait à la fois avenant et dangereux. Ses yeux, d'un profond gris-bleux, paraissaient receler plus de choses que l'on n'aurait sû en dire, et, s'ils étaient marqués d'une profonde marque noire qui semblait les étrécir, cela n'affectait en rien leur intelligence.
Une lueur de malice presque enfantine passa un instant dans son regard, puis il prit la parole d'une voix ambivalente:
- Dames, Seigneurs, pardonnez mon intrusion et mon arrivée quelque peu cavalière... Je n'ai guère l'habitude de la compagnie et il est vrai que l'isolement dont j'ai longtemps été l'objet n'a pas aidé à mon accoutumance.
Son sourire avait quelque chose qui ne pouvait empêcher son interlocuteur de lepenser sincère, et il fallait dire qu'il était rarement trompé. Le jeune homme, ou tout du moins celui qui apparaissait comme tel, avait cette candeur presque naïve que seule pouvait tempérer de solides connaissances et une certaine expérience de la Vie.
Il reprit doucement:
- Permettez moi de me présenter... Djäahk, Djäahk Aëthriön, Lïidje d'Avaëlon, Cité aux Milles-Isles, et garant par les Réquisitoires des Terres Sacrées de l'Etendue. Les honorés Mokis ont eût la bonté de m'accueillir en leur sein il y a peu de temps, et voici ma première visite en ces lieux.